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Qui est l’Inspection générale de la justice saisit par la garde des Sceaux dans l’affaire des « écoutes » ?

Pénal - Vie judiciaire
03/07/2020
L’inspection générale de la Justice (IGJ) a jusqu’au 15 septembre pour rendre son rapport sur le fonctionnement d’une enquête préliminaire, ouverte en 2014, dans laquelle magistrats et avocats auraient fait l’objet d’examen de leurs fadettes par le Parquet national financier. L’occasion de revenir sur ce qu’est la peu connue IGJ.
La ministre de la Justice a saisi le 1er juillet 2020 l’inspection générale de la Justice (IGJ) à la suite des révélations de l’hebdomadaire Le Point, qui relate que le Parquet national financier (PNF) aurait procédé à l’examen des relevés téléphoniques détaillés d’avocats et de magistrats dans une enquête préliminaire ouverte en 2014 (Le Point, 24 juin 2020).
 
Pour Jean-François Bohnert, procureur de la République financier depuis octobre 2019 (v. Jean-François Bohnert à la tête du Parquet national financier, Actualités du droit, 9 oct. 2019), sur cette affaire, « à aucun moment, les magistrats et les enquêteurs qui ont travaillé avec le PNF ne sont sortis des clous » (RTL, 30 juin 2020).
 
Il n’empêche. Après avoir demandé le 26 juin 2020 un rapport à la procureure générale de Paris et au regard de ses conclusions, la garde des Sceaux a demandé à l’IGJ de « conduire une inspection de fonctionnement sur cette enquête ».
 
L’objectif : déterminer l’étendue et la proportionnalité des investigations effectuées et son cadre procédural. Avec une « deadline », puisque l’IGJ devra « remettre son rapport pour le 15 septembre ».
 
 
Focus sur l’IGJ
Rappelons que l’IGJ a été créée par un décret du 5 décembre 2016 (D. n° 2016-1675, 5 déc. 2016, JO 6 déc.) et est entrée en fonction le 1er janvier 2017. Elle est en fait née du regroupement de l’inspection des services judiciaires, de l’inspection des services pénitentiaires et de l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse. Sa vocation est d’« éclairer le politique », affirmait l’Inspecteur général, Jean-François Beynel, lors d’un événement de présentation de l'IGJ, organisé en janvier 2020.
 
L’inspection est composée de pas moins de 108 personnes, dont des inspecteurs généraux, des inspecteurs et des chargés de mission recrutés parmi les magistrats, directeurs et directeurs fonctionnels des services de greffe judiciaires, de services pénitentiaires, des services de la PJJ et des SPIP. D’autres membres, tels que les administrateurs civils ou des chercheurs, permettent de renforcer son efficacité.
 
Pour fonctionner, une lettre de mission est obligatoire. Sachant que l’inspection peut être saisie par le ministre de la Justice, le Premier ministre, mais également par d’autres ministres ou autorités nationales et internationales, sur autorisation du garde des Sceaux. Mais « notre seul client c'est le garde des Sceaux » souligne l’Inspecteur général.
 

Un périmètre de missions important
Son rôle : évaluer et contrôler l’activité des juridictions judiciaires et de l’ensemble des services centraux et déconcentrés du ministère de la Justice.
 
Plus spécifiquement, l’inspection est appelée à :
- contrôler le fonctionnement de l’ensemble des organismes, des directions, établissements et services du ministère de la justice et des juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que sur les personnes morales de droit public soumises à la tutelle du ministère de la justice ou bénéficiant de financements publics auxquels contribuent les programmes du ministère de la justice (activité, organisation, performance, etc.) ;
- faire des inspections de fonctionnement des juridictions : bilan rapide de la situation pour mettre fin aux dysfonctionnements d’un service ;
- procéder à des enquêtes administratives : identifier des manquements professionnels ;
- exercer des missions thématiques pour évaluer la valeur intrinsèque d’une politique publique, prospective ;
- une mission d’appui ou de conseil : accompagnement de réformes, etc. ;
- ou missions d’audit.
 
Le champ des missions est donc large. Pas moins de 88 missions ont été ordonnées en 2019, dont 8 interministérielles. Citons les rapports déjà parus sur les homicides conjugaux, sur la création d’une justice pour l’environnement et celui évaluant la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. L’inspection propose également un accompagnement local pour la mise en place du nouveau Code de justice pénale des mineurs. Des analyses parfois publiées, d’autres fois confidentielles. Mais la volonté de l’Inspecteur général est claire : « que les rapports soient lisibles, traduisibles ».
 

Une indépendance garantie
Placée auprès du ministre de la Justice, l’IGJ affirme son indépendance malgré certaines polémiques au moment de sa création (v. Suite et fin de la saga relative à l’Inspection générale de la Justice ?, Actualités du droit, 3 avr. 2018).
 
L’indépendance de l’inspection passe d’abord par la diversité de ses effectifs (magistrats, greffes, chercheurs, administrateur civils, etc.) et par ses principes méthodologiques.
 
En pratique, la ministre donne une lettre de mission puis c’est à l’inspection de choisir les membres et la méthode pour la mener. L’inspecteur général le souligne : « aucun contrôle pendant le travail n’est effectué ». 
 
« Nous avons l’indépendance de penser, de donner un avis au politique qui en fait ce qu’il veut », affirme-t-il. Avec trois mots d’ordre : indépendance, discrétion et loyauté.
 
Néanmoins pour le Syndicat de la magistrature, la saisine de l’IGJ dans l’affaire des « écoutes » n’est autre qu’une entorse au principe de séparation des pouvoirs et à l’Etat de droit. Dans une lettre ouverte du 2 juillet 2020 ce syndicat déplore que « Dans votre empressement à donner une réponse politique à la polémique qui résulte de cette affaire, et qui mériterait au contraire une réaction raisonnée et donc dépassionnée, vous piétinez ainsi le principe fondamental selon lequel le pouvoir exécutif ne peut en aucun cas intervenir ni même porter une appréciation sur le fond des décisions des magistrats dans des affaires particulières » (Syndicat de la magistrature, 2 juill. 2020).
 

La remise du rapport attendu le 15 septembre
L’IGJ a désormais deux mois et demi pour rendre son rapport sur cette enquête préliminaire du PNF. Mais s’agissant de son éventuelle publication, ce sera à la garde des Sceaux de décider, et non à l’inspection. Notons tout de même que les publications restent assez exceptionnelles.

 
 
Source : Actualités du droit