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Responsabilité médicale pour faute : application de l’adage interpretatio cessat in claris

Public - Santé
Civil - Responsabilité
15/09/2021
Dans un arrêt du 8 septembre 2021, la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1, du Code de la santé publique et au nom de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis, les limites d’interprétation par les juges du fond des actes écrits tels que les rapports d’expertise médicale.
Faits et solution

En l’espèce, lors d’un accouchement et à la suite de la stagnation du travail, un gynécologue obstétricien, assisté par un médecin-anesthésiste, pratique une césarienne qui provoque un collapsus cardio-vasculaire qui laissera la victime avec de très lourdes séquelles psychomotrices.

Le père de la victime, estimant qu’une faute technique a été commise, assigne ensemble le gynécologue obstétricien, le médecin-anesthésiste, la clinique et l’ONIAM en responsabilité et indemnisation.

Contre l’avis de l’expert médical, tant le tribunal de première instance que la cour d’appel retiennent le lien de causalité entre l’accident thérapeutique et l’acte médical réalisé par le gynécologue obstétricien.  Le gynécologue aurait commis une faute en évaluant positivement l'état du col utérin de la victime :  il aurait omis de calculer le score de Bishop, un score clinique qui permet d’évaluer les chances de succès d’un déclenchement du travail et qui en l’espèce devait être égal ou supérieur à 7. Les juges d’appel ajoutent en outre que l'expert médical dans son rapport n'a pas non plus cherché à évaluer ce score : il s’est borné à indiquer seulement qu'il devait, au moment où le déclenchement artificiel a été pratiqué par le gynécologue obstétricien, être égal ou supérieur à 7 tandis que les informations dont le gynécologue disposait tendaient a contrario à affaiblir ce score et à mettre en lumière des conditions locales défavorables.

Dans ces conditions, le gynécologue obstétricien se pourvoit en cassation. Le premier moyen du pourvoi reproche aux juges d’appel de dénaturer le rapport de l’expert médical concluant que le déclenchement du travail pouvait avoir lieu. Il est également reproché aux juges d’appel de déduire « un lien de causalité entre le déclenchement de l’accouchement et le collapsus cardio-vasculaire » tiré de la seule concomitance des actes du déclenchement de l’accouchement et ceux qui l’ont suivi et la survenue du collapsus.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur ces deux points. Elle se réfère d’abord expressément à l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis. En effet, l’expert médical a bien « repris les recommandations de la Haute Autorité de Santé et ajouté que le score de Bishop devait être égal ou supérieur à sept, l’expert indiquait, que Mme X était dans cette situation et qu’un déclenchement était donc possible et concluait que les soins prodigués par le gynécologue-obstétricien étaient conformes aux règles de l’art ». Ensuite, le raisonnement des juges d’appel est cassé au visa de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1, du Code de la santé publique selon lequel « la responsabilité d’un professionnel de santé n’est engagée qu’en cas de faute en lien causal avec le dommage subi par le patient et la preuve d’un tel lien peut être apportée par tout moyen et notamment par des présomptions, sous réserve qu’elles soient graves, précises et concordantes » et dès lors la seule concomitance des actes médicaux et la survenu du collapsus est insuffisante à établir un lien causal.

Éléments d’analyse

« Il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu’elles renferment ». C’est en ces termes que la Cour de cassation en 1872 affine le principe déjà posé par l’arrêt Lubert et qui demeure toujours le fondement du contrôle de dénaturation des contrats effectué par la Cour de cassation (Cass. sect. Réun., 2 févr. 1808, « Lubert » ; Cass.  civ., 15 avr. 1872, « Foucauld et Coulombe »). Cette limite d’interprétation des juges puise sa source dans le droit romain et plus précisément dans l’adage interpretatio cessat in claris : là où l’acte écrit est clair dans ses termes, il est interdit de donner à cet acte un sens différent.

L’acte écrit peut par ailleurs prendre des formes diverses, y compris un rapport d’expertise médicale. Selon la Cour de cassation « lorsque le document dénaturé n’est ni un contrat ni un jeu de conclusions, les visas habituels peuvent apparaître inadaptés ». Dans ce cas, la Cour se vise un principe général, « l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ».

La nature même de l’expertise médicale, qui n’est pas un acte juridique per se tel qu’un contrat, et présentant un haut degré de technicité, peut-elle amener l'expert à se prononcer sur la qualification même de la faute médicale ? Si la doctrine demeure partagé sur cette question (v. Lamy Droit de la Responsabilité, n° 404-23), en l’espèce, l’expert a exclu la faute du gynécologue obstétricien n’ayant pas évaluer le score de Bishop même s’il a « ajouté dans son rapport une précision au texte de la recommandation après le mot « favorable » relatif à la nécessité de disposer d'un score de Bishop égal ou supérieur à 7 » pour en déduire que dans le cas de la victime « cette dernière situation qui est à retenir » et que « le déclenchement était donc possible ». Les juges d’appel ont-ils vu une imprécision, dans le rapport de l’expert qui, tout évoquant la nécessité de disposer d'un score de Bishop égal ou supérieur à 7, avait présumé que ledit score était atteint et que le gynécologue obstétricien avait déclenché l’accouchement conformément aux règles de l’art ? Il n’en demeure pas moins que l’expert a exclu expressément la faute dans son rapport, qui était sur ce point, dépourvu d’ambiguïté.

À titre d’exemple, dans un arrêt récent relatif à l’affaire dite du Distilbène, les juges du fond ont été censurés pour avoir décelé un lien entre deux éléments physiopathologiques alors même que le rapport d’expertise n’en a trouvé aucun (Cass. 1re civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380).

Dans la présente affaire, l’expertise médicale n'a pas permis d'identifier une cause médicale certaine de la survenue du collapsus en considérant qu’il constitue un aléa thérapeutique. Dans ces conditions la Cour de cassation n’avait d’autre choix que de refuser de voir dans la simple concomitance des actes médicaux un lien causal entre le déclenchement de l’accouchement et le dommage subi par la victime.

Si ces solutions n’innovent pas, elles mettent en exergue la difficulté et les limites d’interprétation des actes écrits tels que les rapports d’expertise sur lesquelles se reposent quasi-intégralement la résolution des contentieux médicaux complexes. Pour autant, la Cour de cassation demeure fidèle au principe interpretatio cessat in claris en contrôlant de manière stricte l’interprétation des rapports de l’expertise médicale.
 
Source : Actualités du droit